GRP contre CPM, la guerre n’aura pas lieu.
Cette interview fait partie de notre numéro spécial CTV
Tandis que les usages TV se fragmentent, que les GRP s’opposent aux CPM (et inversement), et que les plateformes rivalisent d’ingéniosité pour séduire les annonceurs, la CTV s’impose comme un terrain encore mouvant. Un terrain que Cécile Solano, Head of Trading 360 de l’agence Biggie, arpente avec une conviction : il est temps de sortir des silos. Avec plus de 20 ans d’expérience en agence média et forte d’une expertise enrichie par une spécialisation RSE, elle incarne cette génération de traders média choisir entre tradition et innovation.
Au sein de Biggie — nouvelle entité née en juin 2024 du rapprochement entre Gamned!, Repeat et 3qtz — elle pilote une stratégie d’activation média résolument hybride, à l’image du positionnement de l’agence. Cécile Solano partage ici sa vision d’une CTV encore peu “demandée” mais déjà incontournable, les freins persistants à son adoption, la nécessité d’une mesure unifiée et d’un accompagnement des équipes que ce soit côté annonceur ou agence.
Quelle est l’appétence des annonceurs que vous accompagnez pour la CTV aujourd’hui ?
Cécile Solano : Il y a encore peu d’annonceurs qui nous briefent en indiquant qu’ils veulent annoncer sur la CTV. Maintenant, ils sont tous très intéressés. Ils sont nombreux à avoir été interloqués par la dernière étude de l’Arcom, qui indique qu’il y a près de 84 % des foyers qui sont équipés d’une télé connectée.
Mais les annonceurs ont encore besoin de nous, agence, pour apprivoiser toute cette transformation des usages. On parle aujourd’hui de la CTV, mais c’est la même chose avec l’audio digital ou le DOOH, programmatique ou non. Le besoin de formation, d’évangélisation, est fort.
Ce marché est-il bien compris ? Avez-vous régulièrement besoin de définir ce qu’est, et n’est pas, la CTV ?
C.S. : Pour moi, le marché n’a pas encore totalement compris, les annonceurs non plus, et chacun y va de sa définition. Je trouve que c’est complexe, et on n’est pas tous d’accord pour dire ce qu’on met dans la CTV. Il y en a certains qui incluent, par exemple, la télé segmentée dans la CTV. Moi, je ne suis pas forcément d’accord…
En fait, on est dans quelque chose de complètement mouvant, entre le traditionnel et le digital, avec une dose de data qui se rajoute, de la technologie en plus, et des intervenants à volonté. Il est difficile de retrouver son chemin là-dedans. En tant qu’agence, nous y arrivons, car nous baignons dedans, et parce que cela fait partie de nos missions que de comprendre et d’éclairer nos partenaires annonceurs.
Même nous, en interne, on reçoit parfois un bilan d’une régie TV où l’on voit les impressions “CTV Android”, et pour une autre campagne, nous n’aurons pas ce détail. Il y a encore plein de choses à travailler. Nous devons y voir clair pour pouvoir rassurer les annonceurs, d’autant que certains sont encore frileux, voire un peu sceptiques, face à cette digitalisation de la publicité TV.
En tant que Head of Trading 360, comment intégrez-vous la CTV dans une orchestration plurimédia ?
C.S. : Au départ, un annonceur nous briefe sur une problématique, une attente, un objectif business. Nous étudions la cible qu’il veut toucher. Clairement, s’il cible des populations un peu plus âgées, les plus de 35 ou plus de 45 ans, nous allons avoir une colonne vertébrale autour de la télévision “classique” – linéaire – et on va ajouter des “satellites” pour avoir de la couverture incrémentale.
Pour des populations plus jeunes, cela va être l’inverse. On va peut-être mettre la CTV au centre, avec de la BVOD, de l’AVOD, de la SVOD, etc. Et puis, sur quelques émissions qui sont intéressantes pour ces publics-là, sur du TF1+ ou du M6+, pour pouvoir toujours arriver à avoir le maximum de reach sur notre cible.
Nous partons de la consommation du média et orchestrons la campagne par rapport à ça.
Il esrt évident que la durée d’écoute de la télé linéaire est en train de s’effriter. Cela génère une fragmentation de l’audience. La bonne nouvelle, est que, quand on regarde le total vidéo, cela ne baisse pas par rapport à 2019 sur une cible large : 4 ans et plus. Ils ne consomment pas moins de contenus vidéos, mais d’une autre façon. Charge à nous d’aller les chercher.
Dans le dernier BUMP, le digital vidéo est à 12 % des investissements. Certains de nos clients sont à 10%, d’autres plutôt dans les 15-20%. Nous ajustons en fonction de la maturité du client, de ses besoins et de ce qu’il recherche.
La CTV nécessite-t-elle des profils plutôt TV ou digitaux au sein de votre agence ?
C.S. : Je reste persuadée — et cela fait longtemps que je le suis — que c’est beaucoup plus difficile de faire bouger de grandes agences qu’une agence de la taille de Biggie. L’hybridation des traders est inévitable, et nous avons enfin l’opportunité de casser les silos. C’est ce qui me fait rester dans ce métier.
Chez nous, les équipes 360 et digitales sont toutes amenées à faire de la vidéo. Je souhaite que les traders puissent parler à la fois de GRP, de couverture et de répétition, mais aussi de programmatique. Nous y travaillons en continu, et cela passe par beaucoup de formations.
L’absence de mesure unifiée de l’audience est-elle un frein à l’intégration de la CTV dans les stratégies média ?
C.S. : La CTV s’achète au CPM aujourd’hui. Ce sont des impressions avec de la data derrière, mais ce n’est pas le sacro-saint GRP, qui reste une mesure que les annonceurs attendent.
Demain, si je peux avoir une mesure unifiée, quelque chose qui me dit : « Quand la marque fait de la VOD, de la SVOD, de la CTV, du YouTube, etc., là où elle avait une couverture de 60, elle est maintenant à 70, donc avec un incrémental de 10 », ce sera toujours plus facile pour vendre les choses.
Des discussions autour de la mesure unifiée existent, mais il n’y a pas grand-chose qui fuite pour le moment. Nous n’en sommes pas à tester quoi que ce soit. Du moins, pas à ma connaissance. Ce serait idéal que cela arrive au dernier quadrimestre 2025, mais je n’y crois pas.
L’absence de mesure unifiée peut être un frein, mais c’est aussi à nous d’expliquer à nos clients qu’il faut absolument suivre cette audience qui bouge. Après, nous avons des façons de contrôler le capping ou de calculer la couverture incrémentale. Des produits sont en train de se développer pour nous permettre d’avoir une vision plus globale de ce que l’on fait. Atteindrons-nous un jour le graal de la mesure des contenus vidéo, toutes plateformes confondues ? Peut-être que cela n’arrivera jamais, nous vivrons avec et tout ira bien.
Quelle est l’étape d’après pour vous pour CTV ?
C.S. : Au-delà de la mesure unifiée, je pense que l’on pourrait aller plus loin côté data et avoir plus d’informations sur les personnes ciblées. Je ne doute pas aussi que ce secteur très dynamique innovera côté technologie.
Mais il ne faut pas aller trop vite non plus. Comme nous sommes au début de cette transformation, si on va trop vite, je pense que cela peut être problématique, casser un peu le modèle, et / ou amener de la défiance de la part des annonceurs. Il faut y aller tranquillement, il y a toujours de l’intertie entre les nouvelles offres et les usages.
Ce qui manque aussi, c’est de prouver que la CTV fonctionne, qu’on touche correctement les gens, qu’on ne les touche pas trop de fois. Il y a encore pas mal de choses sur lesquelles il faut faire attention à ce niveau-là. Et puis garder, sur ce type de contenu, un côté premium. Éviter d’en faire une double télé. Quand je vois certains écrans sur des chaînes BVOD où il y a dix, onze spots, je me dis qu’on est en train de faire quelque chose qui n’est pas forcément bien. Il faut préserver le côté privilégié de ce type d’écran.