L'IPTV ? C'est de la CTV. La TV segmentée ? Aussi.
Cette interview fait partie de notre numéro spécial CTV
Si la CTV s’impose peu à peu comme un levier incontournable du marché publicitaire, sa définition reste encore sujette à interprétation. Pour Vincent Salini, directeur commercial numérique chez FranceTV Publicité, il est urgent de clarifier les contours de ce canal, souvent confondu avec l’IPTV ou réduit à sa seule dimension technologique. Car derrière l’écran connecté se jouent de nouveaux arbitrages : ciblage, mesure, formats, complémentarité des plateformes… autant de paramètres que la régie publique s’efforce d’unifier dans une logique d’offre cohérente et de diffusion étendue.
Avec une ambition affirmée – faire de la plateforme france.tv la première chaîne du groupe –, FranceTV Publicité accélère sa transformation. Lancement d’un KPI « contacts » intégrant le coviewing, ouverture d’un inventaire CTV sur YouTube, formats publicitaires comme l’AdPause ou encore appairage cross-device… Autant d’initiatives qui montrent que la CTV est un vaste terrain d’expérimentation pour les marques, avant que cela ne devienne la publicité vidéo la plus investie par les annonceurs ?
Qu’est-ce qui est de la CTV et n’est pas de la CTV chez FranceTV Publicité ?
Vincent Salini : Le marché complexifie un peu la donne alors que c’est assez simple. La CTV est un téléviseur qui est connecté à Internet et qui exploite cette connexion à des fins de ciblage. Par exemple, l’AVOD, la BVOD et la SVOD consommées sur un écran TV sont naturellement de la CTV, tout comme la télévision segmentée.
En France, la confusion autour de la CTV vient d’une approche historique centrée sur l’IPTV, via les box des opérateurs. À une époque, on distinguait même la CTV de l’IPTV, alors que l’lPTV, c’est de la CTV. Et aujourd’hui, la CTV dépasse ce cadre : elle s’étend à des environnements non intermédiés comme les téléviseurs Samsung ou Philips.
À l’inverse, une publicité diffusée en broadcast, même sur un téléviseur connecté, n’entre pas dans ce périmètre. Une consommation sur tablette, même d’un contenu BVOD, non plus. Il peut y avoir des zones d’ombre, comme lorsque quelqu’un caste depuis sa tablette vers son téléviseur, mais c’est un cas marginal.
Pour rester simple : la CTV, c’est l’écran TV dont on exploite la connexion Internet pour cibler et adserver.
Est-ce que la part de la CTV va devenir majoritaire dans le chiffre d’affaires de la régie FranceTV Publicité ?
V.S. : Nous n’en sommes pas là. Mais vous avez probablement pris connaissance de la trajectoire qu’annonce notre présidente Delphine Ernotte : faire de la plateforme france.tv la première chaîne du groupe France Télévisions. Nous mettons donc le poids du corps sur la plateforme pour accompagner l’évolution naturelle des usages.
La CTV représente déjà aujourd’hui 60 à 70% de nos revenus publicitaires digitaux.
Il n’en demeure pas moins qu’à ce jour, la puissance du média TV en broadcast est encore largement supérieure à celle de la BVOD.
En 2024, vous avez lancé le CPM « contacts » intégrant le coviewing en plus du classique CPM « impressions ». Lequel de ces CPM est le plus acheté aujourd’hui ?
V.S. : Le CPM « contacts » n’est pas encore une monnaie d’échange. C’est un KPI supplémentaire que nous transmettons dans le cadre de nos offres. À ce jour, nous affichons les deux : le CPM « impressions », avec la volumétrie d’impressions diffusées, et l’équivalent en nombre de contacts, grâce au co-viewing, qui représente l’écoute conjointe sur l’écran TV.
Concernant les autres écrans – mobile, tablette, ordinateur – nous sommes sur une consommation individuelle, donc le CPM « impressions » reste la référence, y compris dans les outils adserver, SSP et DSP. Nous militons cependant pour que le coviewing soit intégré nativement chez nos partenaires ad tech. Nous avons des discussions dans ce sens avec Freewheel et certains DSP. Le CPM « contacts » pourrait alors devenir une monnaie d’échange.
C’est une mutation en cours. Et c’est dommage de ne pas valoriser cette écoute conjointe. Chez nous, elle s’élève en moyenne à 1,4 personne par écran, et pour atteindre plus de 1,5 sur le front prime après 20 heures. Nous avons été les premiers à lancer ce KPI. Nous sommes contents que d’autres acteurs suivent, cela valide notre démarche.
Vous avez dévoilé en avril dernier une offre CTV YouTube sur les contenus France Télévisions. Quelle complémentarité voyez-vous entre cette offre et vos autres inventaires CTV ?
V.S. : Cette offre est complémentaire, d’abord en termes de cible. L’une des logiques derrière la distribution de nos contenus sur YouTube, c’est d’aller capter une audience que nous avons plus de mal à toucher sur nos chaînes linéaires, voire sur notre propre plateforme. Cela dit, je précise que nos derniers résultats d’audience sur france.tv montrent une forte puissance sur les 25-34 ans (plus de 80 % de couverture mensuelle sur cette cible). Mais malgré tout, nous gardons une vraie stratégie de conquête sur les jeunes publics, et YouTube répond bien à cette logique.
En moyenne, 42 % de nos vues sur YouTube proviennent de personnes âgées de 13 à 34 ans. C’est énorme. Il y a donc une vraie complémentarité de cible et d’usage. Ce que nous souhaitons aussi, c’est intégrer YouTube de manière naturelle dans nos offres CTV. C’est la même logique qui prévaut lorsque nous sommes distribués par Orange : on consomme France Télévisions sur une box Orange, sur un téléviseur, et cela reste du contenu France Télévisions. Là, c’est pareil : on regarde France Télévisions sur le plus grand écran du foyer, mais via YouTube.
Cela fait de nombreuses années que nous collaborons avec YouTube, à la fois sur l’éditorial et sur la partie publicitaire. En tant que partenaires certifiés de YouTube, nous avons un accord de commercialisation spécifique : nous sommes les seuls habilités à vendre de la publicité sur les contenus France Télévisions diffusés sur YouTube. YouTube peut bien sûr vendre nos contenus, mais uniquement en package. Pour notre part, nous pouvons vendre spécifiquement l’offre de France TV, émission par émission, programme par programme.
Vous proposez des formats innovants comme l’écran “AdPause” dans le player. Quels sont les enseignements de ce format ?
V.S. : Nous croyons vraiment à ce format. D’abord parce qu’il est totalement UX-friendly. Il n’interrompt pas le programme : il s’affiche seulement quand l’utilisateur met son contenu en pause. Ce format accompagne l’usage sans le perturber, ce qui est pour nous fondamental. Si je devais faire une analogie, je dirais que c’est un peu comme l’abribus inventé par JCDecaux. Il y avait un usage – attendre le bus – et l’afficheur a trouvé un moyen d’y insérer de la publicité, sans gêner. Là, c’est la même chose : l’utilisateur veut gérer son contenu, le mettre en pause, le reprendre quand il veut… et nous insèrons un format pub à ce moment-là.
Ce qui nous plaît aussi, c’est que sur l’écran TV, c’est une vraie surface publicitaire : ce format est 20 à 30 fois plus grand qu’une publicité sur mobile.
Autre point important : l’AdPause bénéficie du co-viewing. Ensuite, il y a la capacité de ciblage. Les annonceurs peuvent cibler par type de programme – par exemple les fictions – et nous observons aussi que certains d’entre eux jouent avec le moment de pause dans leurs créations. Des formats qui disent “prenez une pause pour…” ou qui jouent sur l’arrêt, le silence, le visuel fixe. C’est malin, et cela interpelle.
Dernier argument, non négligeable : il s’agit d’un format statique, donc beaucoup moins énergivore qu’un format vidéo. C’est cohérent avec notre stratégie.
Enfin, c’est un format qui complète parfaitement la vidéo : la vidéo joue sur le branding, la considération, et AdPause vient faire le rappel pub, le call to action. C’est une vraie logique full funnel.
Quelle est l’étape d’après pour la CTV chez FranceTV Publicité ?
V.S. : Je vois deux grands axes. Le premier est la liquidité des leviers. Aujourd’hui, le marché publicitaire a encore tendance à compartimenter les canaux : la TV segmentée d’un côté, YouTube de l’autre, la BVOD ailleurs… Nous essayons de casser ces silos. C’est dans cette logique que nous avons repensé nos offres commerciales. Dans nos offres CTV, lorsque c’est techniquement possible, nous proposons de la diffusion à la fois en BVOD et en TV segmentée.
Par exemple, on a récemment lancé des offres qui garantissent à un annonceur de toucher 100 % des petits consommateurs TV sur une cible donnée –. Cette diffusion se fait à la fois sur des inventaires BVOD et en TV segmentée. Pour moi, c’est ça, l’étape d’après : penser la CTV de façon élargie, sans cloisonnement.
Le deuxième axe, c’est la liquidité de la data. Nous avons développé des fonctionnalités d’appairage entre nos comptes logués france.tv et l’écran TV. Sur desktop, mobile, tablette, l’utilisateur est déjà logué, ce qui nous permet de personnaliser les recommandations éditoriales et publicitaires. Mais notre enjeu, c’est d’apporter cette même expérience sur l’écran TV.
Nous avons donc intégré l’appairage avec certains opérateurs comme Free et Bouygues Telecom ainsi que sur toutes les Smart TV, par exemple Samsung, LG, Philips… et tous les boitiers connectés : Apple TV, Fire TV, Android TV, etc. L’idée est que l’utilisateur puisse se connecter à son compte france.tv sur l’écran télé, pour que nous ayons une continuité d’expérience quel que soit le device. C’est ce que font nativement des plateformes comme Netflix. Et cela nous permet d’unifier les données publicitaires sur tous les écrans.