Ton budget marketing, tu ne couperas point.
Nous sommes ravis de retrouver Jérémy Lacoste, contributeur sur la Réclame .mark&tech. Jérémy est directeur général France de l’agence Eskimoz. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit sur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou dans ses tribunes sur la Réclame.
Retour 100 ans en arrière, au moment où la Grande Dépression frappe les États-Unis. La croissance dévisse et avec elle la confiance des entreprises en l’avenir. Sur l’industrie de la céréale, deux géants se disputent historiquement les parts de marché. D’un côté Post qui fait ce que la plupart des entreprises font en contexte d’incertitude économique : réduction des coûts et contraction des investissements publicitaires. De l’autre, Kellogg’s qui double son budget marketing pour accompagner le lancement de sa nouvelle gamme et profiter ainsi des positions abandonnées. 3 ans plus tard, l’entreprise a fait +30 % de croissance et s’est imposée comme leader.
Retour au présent maintenant. L’économie tourne toujours au ralenti et les entreprises continuent à avoir le réflexe Post : coupure nette dans le budget marketing qui reste avant tout appréhendé comme un coût.
Pourquoi le précédent Kellogg’s n’a-t-il pas fait jurisprudence ? Par manque de culture marketing peut-être ? Par absence d’études pour donner corps au récit plus sûrement ?
Mais tout cela est de l’histoire ancienne. Car désormais, la littérature scientifique est fournie et le constat est sans appel : « Quand tout va bien, vous devriez faire de la pub. Quand ça va mal, vous devez en faire ! » pour paraphraser David Ogilvy.
1. Plus dure sera la chute
Citons d’abord l’étude du centre de recherche Ehrenberg-Bass Institute [de ce cher Byron Sharp, ndlr] réalisée sur 70 marques afin d’identifier l’impact de leur décision de couper ou non toute visibilité sur les médias.
Constat n°1 : les ventes chutent en moyenne de 16 % après un an sans publicité ; puis 35 % quand cela passe à 3 ans. C’est un puit sans fond !

Constat n°2 : La chute est moins brutale pour les marques avec une forte assise qui bénéficient d’un effet d’habitude ou de longue traine sur les niveaux de top of mind. La dynamique de croissance précoupure agit aussi fortement sur le décrochage : plus l’entreprise est déjà en proie à un ralentissement de ses ventes et plus la coupure de la publicité a un impact négatif. C’est la double peine donc !

Constat n°3 : Le retour post-coupure relève de la fable. Les marques qui étaient en croissance peinent à retrouver leur niveau de traction après un arrêt d’un an de leur présence publicitaire. Conséquence : l’effort pour retrouver sa place sera disproportionné par rapport au coût de la pause médiatique.
2. Jusqu’ici tout va bien
Plus loin de nous, l’étude de McGraw-Hill Research portant sur un corpus de 600 entreprises pendant la récession de 1981-1920. Et là aussi, le constat est sans ambages : 5 ans après, les entreprises qui ont maintenu ou augmenté leur budget pub ont évolué à un rythme de +275 % de croissance vs seulement +19 % pour celles qui ont fait le choix de réduire la voilure.
Toujours difficile néanmoins de savoir si cela relève de la cause ou de la conséquence. Les entreprises qui ont désinvesti présentaient peut-être des bilans déjà en demi-teintes, que la récession n’a fait que révéler.
Toutefois, comme le résume très bien Peter Field dans « Lessons for Advertising in a Recession » : « La seule stratégie rationnelle pendant la récession est d’investir sur le marketing de marque ».
3. Comment sortir de l’impasse ?
J’ai évidemment beau jeu depuis mon fauteuil de sortir ces études afin d’inciter les marques à garder le cap malgré les vents contraires qui s’amoncellent. Et je ne mesure que trop bien la part d’irrationnelle ou de choix arbitraire qui peut prévaloir chez les annonceurs pour y avoir fait mes armes.
Il n’empêche, trois positions paraissent intéressantes à garder en tête :
– Le compromis : il vaut mieux diviser son budget par deux, plutôt que de couper l’ensemble de ses dispositifs marketing. C’est ce que met en exergue une étude menée par Kantar indiquant ainsi que la reprise sera d’autant plus facile. Rester présent donc, même si la présence sera moins forte pour éviter les effets d’à-coup.

– Sortir de la grande incompréhension : disons-le une fois pour toutes. Le néomarketing est au marketing ce que le néolibéralisme est au libéralisme : un détournement primaire de sa fonction ontologique. Comment expliquer sinon pourquoi depuis 5 ans, la quasi-totalité des CMO sont désormais challengés uniquement sur le revenu qu’ils génèrent, là où leur objectif n°1 était précédemment de construire et de faire vivre une marque / expérience forte ? Et ce, à rebours de toute la littérature scientifique qui a pourtant révélé il y a 10 ans le secret de polichinelle des entreprises à succès : 60 % d’investissement en brand ; 40 % en activation.
– Profiter des espaces : on le sait, les périodes de marasme économique sont propices à d’importantes reconfigurations de marché. En analysant la récession de 1990-1991, le cabinet Bain a identifié que deux fois plus d’entreprises sont passées de challengers à leader de leur marché qu’à l’accoutumée.
Et c’est bien normal. Il y a une sursensibilité des organisations à l’incertitude les amenant à faire des arbitrages dont le primat ira au court terme vs le long terme. À l’inverse, les entreprises qui arrivent à garder un barycentre équilibré sont celles qui vont sortir du lot pendant ces périodes compliquées. D’autant qu’il y a des places à prendre : moins de concurrents communiquent, rendant les quelques campagnes encore présentes plus mémorisables. Il n’y a qu’à se rappeler du Covid et des quelques marques qui ont continué à prendre la parole : tout le discours était centré sur le branding !

Comme quoi, il n’y a pas de ROI au silence…