Adieu les clics.
Nous sommes ravis de retrouver Jérémy Lacoste, contributeur sur la Réclame .mark&tech. Jérémy est directeur général France de l’agence Eskimoz. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit sur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou dans ses tribunes sur la Réclame.
Et si on revenait 20 ans en arrière ? À l’époque où les campagnes publicitaires s’achetaient au CPM et où les annonceurs pilotaient leurs dispositifs à coups d’impression et de visibilité.
Surprenant… après des années à essayer de bâtir des modèles de tracking sophistiqués pour capter le moindre signal marketing et avoir un pilotage à la performance. Pourtant, force est de constater que les récentes annonces du Google I/O et les développements de ChatGPT ne laissent que peu de doute sur le futur du search : moins de clics et plus d’impressions.
Le grand schisme est déjà là, en témoigne les tendances observées sur les sites américains.

Et les premières tendances sont têtues :
– Malgré l’arrivée de nouveaux entrants comme ChatGPT ou Perplexity, malgré l’annonce d’Apple sur une baisse du trafic sur Google… le volume de requêtes sur le moteur leader progresse. En fonction des sources, nous sommes entre +21 % et +10 %. La faute aux AI Overviews qui sont de puissants générateurs de requêtes multiples, un peu comme peut l’être Wikipedia avec le fameux effet Rabbit Hole. Une requête en entrainant une autre.
BrightEdge parle même d’une progression de 50 % des impressions, même si ce chiffre paraît un poil démesuré. Une chose est sûre en revanche : à mesure que le taux de pénétration d’AI Overviews progresse, les requêtes longue traîne se généralisent. Le search à 3 mots-clés semble promis à un recul assez fort.

– Si aujourd’hui, déjà 6 requêtes sur 10 ne génèrent pas de clics, demain, il faut s’attendre à ce que cela soit pire. Pour le CEO de Cloudflare, Matthew Prince, nous sommes même déjà à ¾ de requêtes inabouties sur mobile. Abyssal.

– 4/5 des utilisateurs s’appuient déjà la majorité du temps sur des recherches sans clic d’après une étude de Bain. Manière de dire que le passage vers un moteur de réponse est déjà largement enclenché dans les usages. Le conversationnel n’est donc que le prolongement d’une tendance bien enclenchée : la click fatigue.

– Avec AI Overviews de Google et demain AI Mode, il faut s’attendre aussi à un effondrement du CTR. L’étude menée par Ahref en avril table sur une baisse du taux de clic de 34 % sur la position 1… équivalent finalement à un passage en position 2 ou 3 en SEO. La raison est assez simple : en cannibalisant tout l’espace visible au-dessus de la ligne de flottaison, ces réponses générées invisibilisent les positions SEO telles qu’on les connait.
Au point de se demander si la meilleure façon de cacher un corps n’est pas désormais d’être en page 1 sur Google !
– Tout l’enjeu pour les annonceurs est donc de truster les mentions sur AI Overviews ou AI Mode. Sauf que contrairement à ce que dit Sundar Pichai, le CEO de Google, ce n’est pas un jeu de vase communicant, et ce, pour deux raisons.
D’abord, 4/10 des liens repris sur les aperçus IA proviennent directement de l’écosystème Google (Google Maps, Google Business profile, YouTube, Discover etc). De quoi renforcer la position de wall garden.
Ensuite, seulement 30 % des AI Overviews sont consommés d’après une étude UX menée récemment.
Cela pose deux questions :
1. La fin des clics, est-ce vraiment nouveau ?
Pas vraiment. Déjà en 2019, 60 % des requêtes n’aboutissaient à aucun clic. Une partie, car les résultats remontés n’étaient pas pertinents, aboutissant à un abandon pur et simple de l’internaute, et une autre partie en raison des positions zéro. Mais si on regarde un peu dans le rétro, il faut admettre que Google a commencé la bascule il y a déjà bien longtemps.
Dès 2007 en fait, avec la recherche universelle qui a permis d’intégrer dans la SERP des éléments venant de Google Maps, YouTube et autres services de l’écosystème. 2 ans après, c’est l’intégration des rich snippets, puis ensuite du kownledge graph… jusqu’aux positions zéro ou même les suggestions poussées par Discover. Toutes les récentes mises à jour vont vers une SERP plus autoporteuse. L’enjeu pour Google est de rendre captif l’internaute.
Et d’ailleurs, il n’y a qu’à voir la diversité des features poussées dans la SERP actuelle pour s’en convaincre.

2. La fin des clics, quel impact pour les annonceurs ?
Disons-le tout net :
Pour l’industrie publicitaire, c’est un nouveau paradigme majeur qui s’annonce. Alors que Google a révolutionné le secteur il y a 20 ans en démocratisant le CPC, va-t-il en devenir son fossoyeur ? Nous faisons le pari que l’on va voir éclore des modèles de monétisation hybrides sur ces moteurs, alliant abonnement premium sans publicité avec une consommation libre en échange de résultats sponsorisés, dont une partie sera facturée sur des modèles à la visibilité ou au taux de présence. Un peu comme le propose YouTube sur sa home par exemple. Le CPC toujours présent donc, mais moins dominant.

Pour les équipes search une nécessité impérieuse de repenser les KPI de pilotage. Avec des résultats de plus en plus consommés directement sur les SERP, les clics vont se raréfier. Or aujourd’hui, l’essentiel de la performance marketing est à minima valorisée par le volume de trafic et le business généré. Or AI Overviews / AI Mode de Google et ChatGPT fonctionnent sur des mentions, de la visibilité, de la présence de marque… même si des liens (discrets) sont intégrés. Il faut donc acter cette nouvelle donne dans les tableaux de bord de pilotage pour intégrer ces nouveaux KPI. Une aubaine pour les annonceurs qui ont déjà lancé des chantiers de modélisation de la performance marketing, car tout l’enjeu va être de réussir à réconciliation une mention avec un achat online.
Pour les directions marketing, un changement de braquet bienvenu, bien que cette position demeure minoritaire. Un constat simple : le CMO est devenu un CRO. Il est désormais devenu comptable de la performance commerciale de son entreprise… là où il y a 10 ans, il était surtout garant de la marque et s’assurer d’être top of mind dans les réflexes d’achat. Et c’est précisément vers cela que risquent de nous renvoyer ces nouveaux moteurs de recherche.
Là où le clic avait la vertu d’être traçable et donc mesurable, la mention est difficilement palpable. La visite marque un engagement actif quand la citation est passive. Pourtant, cela va dans le sens d’un meilleur marketing.
Pour le dire clairement : si demain, le nouveau terrain de jeu des annonceurs est d’aller truster de la présence, c’est un clair retour au marketing tel qu’il s’opérait il y a deux décennies. Moins de tactiques à court terme, de hacks pour générer du clic à faible valeur, et à l’inverse la prime aux stratégies ambitieuses de construction de marque.
Un retour à ce que le search aurait dû rester ?